L’examen de la politique des clusters de recherche, lors de la dernière session du Conseil régional, a confirmé que la stratégie régionale de la recherche, comme je l’avais souligné lors de son vote, était décidément bien peu stratégique : la définition des nouveaux clusters de recherche (les ARC ou communautés de recherche académique) qui seront soutenus par la Région s’avère bien peu sélective, voire douteuse sur certains thèmes. Il s’agit plus de faire plaisir à tout le monde que de renforcer les chances de Rhône-Alpes d’être en pointe en Europe et dans le monde sur certaines thématiques de recherche.
Pour se défendre, le conseiller spécial à la recherche, Thierry Philip, joue la carte de la démagogie assumée en disant qu’il laisse les chercheurs décider. On se demande bien dans ce cas pourquoi la Région se donne du mal pour définir une stratégie. Cette affirmation du conseiller spécial est assez savoureuse puisque, dans le même temps, la Région n’a jamais autant cherché à encadrer, par des critères « bien pensants » l’appui aux entreprises et le soutien aux associations (j’y reviendrai prochainement).
Mais j’imagine que le monde de la recherche sait très bien que cette approche peu stratégique va surtout permettre de faire les choix en « petits comités », discrètement, en veillant à ne pas froisser les différentes composantes de la majorité. L’évaluation des anciens clusters de recherche, commanditée par la Région elle-même, avait pourtant montré que ce dispositif avait besoin de choix plus clairs et de transparence dans le fonctionnement.
Bref, tout cela ne sera bon ni pour la recherche rhônalpine, ni pour les chercheurs, ni pour l’institution régionale.
Pour ceux que le sujet intéresse, le texte de mon intervention lors de la session du 1er juillet du Conseil régional.
“Monsieur le Président,
Vous avez l’intention de nous faire ratifier aujourd’hui ce que vous présentez comme des textes techniques de mise en œuvre de la stratégie régionale de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ces textes vont en fait au-delà des simples procédures d’application. Certaines dispositions rentrent dans le « dur » de la stratégie, pour rendre celle-ci concrète. Cela mérite donc un travail approfondi.
C’est particulièrement le cas avec les nouveaux clusters, les communautés de recherche académique. Nous ne sommes pas opposés au principe de ces clusters de recherche, même si nous souhaitons depuis longtemps une meilleure articulation avec les clusters économiques et les pôles de compétitivité.
Le premier problème c’est le passage en force que vous tentez, la concertation sur cet important dispositif ayant été indigente. La stratégie régionale qui a été votée en février annonçait la réduction du nombre de clusters. Mais depuis son vote, aucune information sur les choix en préparation. Votre délibération mentionne une réflexion ; force est de constater que les élus ont été tenus à l’écart. Nous avons découvert il y a quelques jours la liste laconique des nouveaux clusters. Ce n’est pas acceptable. Les amendements déposés par les différents groupes, y compris de votre majorité, démontrent le déficit de concertation. J’ai demandé le retrait du dossier en commission pour se laisser le temps d’approfondir la réflexion. Je regrette que les autres groupes ne l’aient pas soutenue. Je crains que le travail à marche forcée sur ces amendements ne permette pas de rétablir l’équilibre de ce rapport.
Votre rapport définit donc les thèmes des nouveaux clusters, c’est-à-dire les domaines autour desquels vont se structurer des réseaux de recherche.
Ces clusters vont conditionner les allocations budgétaires, donc les priorités de financement de la recherche. C’est bien dans le choix des priorités de recherche que se trouve la réelle dimension stratégique de l’intervention de la Région.
Votre passage en force serait admissible si les thèmes des clusters étaient pertinents. Même si l’on manque d’informations, on peut en douter.
1er constat : même si vous vous abritez derrière des priorités européennes (bravo la subsidiarité !), certains apparaissent très (trop) larges. Santé, environnement, énergie : est-ce que cela fixe réellement des axes de recherche ? Les régions qui gagnent sont pourtant celles qui font le choix des spécificités, de la différenciation. Pour ne prendre qu’un seul exemple, en matière d’énergie, sur quelles sources d’énergie comptez-vous orienter la recherche ? L’ambition de la région ne peut pas se limiter à inciter les laboratoires à travailler ensemble. Il est de sa responsabilité politique de dire dans quelle direction ce travail doit se faire. S’il s’agit d’être aussi vague, voire politiquement correct, un seul cluster « région durable, équitable, citoyenne et solidaire » aurait pu suffire !
D’autres clusters suscitent questions et inquiétudes : que va traiter le cluster « Culture, Sciences, Sociétés et Médiations » ? Quant au cluster « Industrialisation et sciences de gouvernement », nous ne pouvons que nous féliciter de l’intérêt porté à la question industrielle, pour trouver les voies de l’avenir de l’industrie dans notre région. Mais que viennent faire dans cette affaire les sciences de gouvernement : est-ce un retour aux industries industrialisantes, ou pire, une nostalgie de la collectivisation.
La liste des clusters ne semble donc pas pertinente. Les dispositions de mise en œuvre non plus. Votre règlement prévoit ainsi qu’un programme scientifique cadre pluriannuel sera déposé par chaque cluster. Ce programme précisera les procédures et critères de sélection des projets. Un document fondamental : et pourtant notre assemblée ne sera pas amenée à l’examiner.
Les projets soutenus seront certes validés en commission permanente, mais cette phase de validation se fera en fonction d’un cadre qui n’aura pas été défini par la gouvernance politique de la Région. Résultat : soit le contrôle par les élus sera factice, soit il pourra aboutir à des contradictions avec les objectifs des clusters, d’où des recours potentiels des porteurs de projets.
Vous organisez ainsi l’effacement de la Région en matière de politique de recherche. Et pourtant, l’évaluation des anciens clusters avait recommandé d’affirmer la présence de la Région dans leur fonctionnement. Vous faites donc exactement l’inverse.
Autre conclusion notable de l’évaluation des anciens clusters : le nombre insuffisant de projets menés en relation avec les pôles de compétitivité. Force est de constater que les avancées avec les ARC sur cette question sont très faibles, et que vous comptez encore les réduire avec un de vos amendements.
Priorités insuffisantes ou ambiguës, manque d’articulation avec les pôles de compétitivité, effacement de la Région dans le pilotage ; tout cela confirme ce que nous dénoncions lors du vote de la stratégie. Ce n’est pas vraiment une stratégie, c’est en fait un cadre administratif pour subventionner des activités de recherche, avec un manque de transparence patent.
Pour les ARC, l’ouvrage mérite d’être remis sur le métier. Nous vous demandons donc encore une fois de reporter l’examen de ce dispositif à la prochaine assemblée pour se laisser le temps d’une réelle concertation. Nous en avons le temps puisque nous avons voté hier en Commission permanente les dispositions transitoires pour animer les clusters en 2011. C’est l’objet de notre amendement.
Concernant le dossier « Université citoyenne et solidaire », comme nous l’avions signifié lors du vote de la stratégie, nous ne sommes pas favorables à cet appel à projets.
Accroître les compétences et connaissances des étudiants, favoriser leur professionnalisation, ouvrir l’université sur son environnement : tels sont les objectifs de cet appel à projets. Ne s’agit-il pas d’objectifs « naturels » de l’enseignement supérieur ? Est-il besoin d’un appel à projets spécifique sur ces objectifs, avec ce que cela implique de coûts de gestion et de lourdeur administrative ? La réponse est non, à moins bien sûr qu’il s’agisse de satisfaire des exigences de votre majorité : peut-être faudrait-il alors renommer l’appel à projets « université communiste et écologiste ».
Si une incitation supplémentaire doit être donnée sur ces objectifs, elle pourrait tout à fait se faire, à moins de frais, via le processus classique de contractualisation avec les établissements d’enseignement supérieur. Il y a ici une source d’optimisation : pour rappel le budget « Université citoyenne et solidaire » a été de 250 000 euros en 2010. Cela équivaut grosso modo à la baisse des crédits de fonctionnement pour la contractualisation que vous avez engagée en 2011.
Nous confirmons donc notre proposition d’abroger ce dispositif par souci de cohérence et d’économies.”